Les jeux narratifs entretiennent un beau rôle depuis plusieurs années, les développeurs s'acharnant à nous offrir un spectacle intéressant pouvant être aussi bien vu que joué, un équilibre difficile à obtenir avec le monde du streaming qui s'est implanté dans nos foyers. Pour s'assurer un succès commercial et critique, on reprend les codes classiques et actuels (comme ceux des séries par exemple), mais combien de studios tentent alors une approche différente ? Avec son esthétique singulière et son scénario mature se déroulant au milieu de la Renaissance, Pentiment est clairement de ces productions-là. Parue le 15 novembre dernier sur Xbox One, Xbox Series et PC, l'histoire interactive d'Obsidian Entertainment et Xbox Game Studios se brûle-t-elle les ailes en essayant d'être originale, parée à l'oubli, ou au contraire, parvient-elle à marquer les esprits avec son récit et ses mécaniques de jeu simplistes ?
Soyez rassurés, amis lecteurs, aucun spoil n'est dans ce test (si on ne compte pas l'élément déclencheur de l'histoire) ! Vous pouvez donc lire cet article et profiter pleinement du jeu ensuite. |
L'habit ne fait pas le moine
Vous êtes en 1518 et vous incarnez Andreas Maler, un artiste de Nuremberg qui s'exile volontairement en Bavière afin d'achever son apprentissage et accomplir son chef d'œuvre. Pour cela, il se rend quotidiennement au scriptorium de l'abbaye bénédictine de Kiersau afin de peaufiner son art auprès des moines, tandis que le reste du temps, il se ressource à Tassing, le village voisin qui croule progressivement sous les taxes et les catastrophes naturelles.
Aux commandes de maître Maler, le joueur parcourt les décors finement travaillés de la campagne bavaroise et profite de visuels inspirés par les enluminures médiévales et les gravures sur bois. Presque aucune musique ne vient accompagner ses pas légers, sinon les bruits des cochons, du vent, des coups de marteau sur le fer chaud, de l'eau ruisselante ou des activités lointaines, tandis que les nombreux personnages de Pentiment n'offrent comme voix que les grattements d'une plume et des sons d'impression.
Assister les moines scribes dans l'enjolivement des ouvrages n'interdit pas de faire connaissance et de discuter de sujets importants avec eux, comme ici, l'arrivée de l'imprimerie et la disparition future des manuscrits.
Chaque interlocuteur a le droit à une police d'écriture différente dont le style témoigne de sa position sociale et de sa façon de parler. Parfois, des fautes d'orthographe s'incrustent dans les textes, mais celles-ci sont immédiatement effacées et corrigées. Bien qu'amusantes dans un premier temps, ces rectifications très récurrentes n'apportent rien au jeu, sinon un peu plus d'immersion.
En effet, le joueur est plongé dans un cadre bien particulier : il est le lecteur d'une histoire illustrée à laquelle il participe également en effectuant des choix narratifs. Et s'ils ne semblent n'avoir aucune espèce d'importance dans la longue introduction du jeu, dès lors que l'une des personnalités importantes de Kiersau est retrouvée morte assassinée au milieu de l'abbaye, chaque choix effectué prend sens.
Les premiers choix du joueurs concernent le parcours de vie d'Andreas (c'est-à-dire les domaines dans lesquels il a étudiés, les destinations de ses précédents voyages, etc.), ce qui implique logiquement des choix de dialogues à découvrir.
Multi sunt vocati, pauci vero electi
Après la découverte du cadavre, de fausses accusations résonnent entre les murs du monastère, ce qui mène Andreas à investiguer sur l'assassinat. Si les récits contant des affaires de meurtre en pleine campagne ont toujours été fascinants, c'est en partie grâce à leur nombre réduit de suspects dans un environnement facilitant cette impression de "tout le monde se connait", et Pentiment ne fait pas exception à la règle : en quête d'indices ou de témoignages dans un temps limité, on se promène dans les jolis tableaux en 2D de Tassing et de Kiersau en cherchant des individus avec qui converser.
Parler à un personnage clé fait avancer l'horloge, et certains d'entre eux ne sont guère disposés à discuter à des moments particuliers de la journée. De même, arrivé à midi ou aux heures du souper, Andreas doit trouver une table à laquelle manger, et selon ses bienveillants hôtes, il peut en apprendre davantage sur la vie des paysans ou progresser dans son enquête.
Le contenu des assiettes en dit long sur les familles qui convivent le maître artiste.
Dès lors, on comprend immédiatement qu'il est impossible d'interagir avec tous les personnages et d'obtenir absolument tous les indices nécessaires à la résolution de cette enquête chronométrée. Les choix ne se limitent donc pas uniquement à ceux proposés lors des longues phases de dialogues, puisque le joueur en fait également lorsqu'il avance dans la journée en préférant sacrifier un rendez-vous plutôt qu'un autre pour récolter de nouvelles informations prometteuses.
Ces décisions implicites engagent le joueur dans des situations tantôt amusantes et attachantes, tantôt sombres et cruelles, le confrontant à une réalité terre à terre et à des dilemmes moraux. À l'aide de quelques effets de mise en scène originaux, Pentiment aborde des thématiques sérieuses et matures autour de l'art et de sa distribution, de la représentation du clergé, de l'acceptation de soi et des autres...
Les décisions d'Andreas ont un réel impact sur les personnages et la confiance qu'ils éprouvent à son égard.
Pénitence
Bien que Pentiment soit ralenti par la volonté des développeurs à exposer le quotidien des paysans et des membres de l'Église du XVIème siècle, ainsi que par des animations de textes assez longues (notamment à cause des corrections orthographiques), la diversité des évènements empêche l'ennui de s'installer et donne envie au joueur de poursuivre sa route. Mais cette dernière peut être jonchée d'errances si tant est qu'il ait envie de chercher un maximum d'interactions à travers les cadres ruraux de Bavière, ce qui étire péniblement la durée de vie déjà conséquente de Pentiment (il faut approximativement entre 15 et 20 heures pour achever une première fois le jeu).
On pourrait absoudre cette lenteur si seulement celle-ci permettait au scénario de s'étoffer d'embranchements scénaristiques, mais pas du tout. Peu importe les choix importants qu'a effectués le joueur lors de la trame principale, l'affaire criminelle se résoudra d'une manière similaire à chaque partie. Seuls des détails relationnels et les parcours empruntés changeront selon les caractéristiques d'Andreas et les réponses qu'il aura donné à la communauté de Tassing et aux moines de l'abbaye, ce qui, naturellement, crée une attache importante aux personnages.
Même si le jeu est en 2D, plusieurs directions sont offertes lors de l'exploration des différents tableaux, rendant la carte très difficile à comprendre au départ. On notera également quelques imprécisions lorsque l'on essaie de changer de zone — il n'est pas rare de cliquer par inadvertance sur un PNJ se trouvant à proximité du chemin que l'on désire emprunter...
Cependant, on ne peut nier la qualité d'écriture du scénario de Pentiment, ni même le travail de recherche effectué sur les mœurs et coutumes de l'époque, ou encore sur des éléments plus obscurs comme l'ésotérisme et l'alchimie qui permettent à cette enquête à échelle humaine de côtoyer le fantastique. Les amateurs d'art et d'histoire peuvent se régaler de Pentiment tant l'ensemble artistique est cohérent et soigné, mais les néophytes ne sont pas délaissés pour autant puisque un glossaire est disponible en quasi permanence, permettant de se resituer historiquement, de connaître quelques personnalités connues de la Renaissance et bien avant, ainsi que de comprendre des termes pouvant paraître barbares.
De même, le jeu est abordable pour le plus grand nombre puisque beaucoup d'options d'accessibilité sont disponibles dans les menus (synthèse vocale, mode pour les daltoniens, police d'écriture non stylisée...) — une habitude très appréciable chez les exclusivités Microsoft ! Toutefois, Pentiment étant à la portée de tous, les énigmes qu'il propose sont très faciles, se résolvant parfois sans l'aide du joueur : nous sommes dans une histoire interactive, et les moments de réflexion, bien trop rares, ne semblent pas y avoir leur place.
Enfin, pour ne rien arranger à la lenteur du jeu, des ralentissements sévères et des freezes surviennent parfois entre deux écrans de chargement joliment enluminés. Rien de grave pour le genre, mais il est tout de même bon de le souligner.
Peu de mouvements vivifient les personnages, pas même des mouvements de bouche lorsqu'ils parlent, rendant certains passages très statiques. Cependant, leurs expressions faciales et les quelques animations dont ils disposent suffisent à accompagner leur personnalité très bien écrite.
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