L'histoire est écrite par les vainqueurs
Alors qu'est-ce que Metal Gear Solid? Même si vous n'avez jamais approché un des jeux de cette série culte du jeu vidéo de près ou de loin, vous en aurez forcément entendu parler. Depuis la sortie de Metal Gear sur Blue MSX en 1987, soit 25 ans avant la rédaction de cette article, cette série atypique a attiré les gamers du monde entier mais c'est réellement avec Metal Gear Solid, renaissance de la série sorti en 1999 sur Playstation, que la série rentrera dans l'histoire. Nous y suivons les aventures de Solid Snake, le meilleur agent secret du monde, une véritable légende vivante qui se retrouve plongé dans les pires complots qui puissent être fomentés sur cette terre. A la différence d'un Sam Fisher, Solid Snake a une personnalité très complexe. Guerrier d'élite et maître assassin, il n'en demeure pas moins très réaliste sur les affres et la stupidité de la guerre et livrera des discours antimilitaristes des plus virulents. Une chose qu'il faut comprendre à propos de Metal Gear Solid, c'est sa construction tout en paradoxes. Et Solid Snake est le premier de ces paradoxes, meurtrier de masse et pourtant pacifiste, dégoûté par ses propres actions mais continuant à perpétuer la violence car il ne sait rien faire d'autre. Ce quatrième opus s'ouvre sur une scène très poétique, un plan d'un désert moyen-oriental dans lequel on voit progresser un camion rempli d'hommes en armes, le tout bercé par une délicate musique très minimaliste et mélancolique. S'enchaîne alors un déluge d'action et de mort entre deux armées, alors que la voix de Solid Snake commente en fond, toujours magnifiquement doublé en version anglaise par David Hayter, nous expliquant que la guerre n'est plus qu'une économie et est livrée par des mercenaires, le tout contrôlé par l'ONU grâce à des puces implantés dans les cerveaux des soldats. Ce background nous livre dès lors une image de notre société d'un profond cynisme où la guerre est devenue un jeu, mise en abîme d'autant plus poignante que l'on est véritablement en train de jouer à un jeu de guerre. Teinté de transhumanisme et de réflexion sur le libre arbitre, ce quatrième opus s'annonce plus sombre et plus profond que les précédents.
I'm no hero. Never was. Never will be
Le jeu se découpe en cinq missions réparties dans cinq environnements différents, à la différence des précédents volets qui se concentraient dans un environnement unique. On aura ainsi l'occasion de retourner à Shadow Moses, cadre du premier Metal Gear Solid, un voyage qui fera vibrer la corde sentimentale de tous fans de la franchise. A l'exception de la première, qui fait office d'introduction, toutes les missions sont marquées en leur milieu par un combat contre l'un des boss de l'unité Beauty and the Beast. Concrètement, il s'agit de top models psychopathes enfermées dans des combinaisons high-tech leur conférant à chacune des compétences spéciales (camouflage, vol, vitesse, manipulation mentale). Ici, pas de techniques particulières à adopter, il suffira de leur vider des chargeurs dans le corps avant d'accéder à la phase 2, séquence totalement inutiles où elles sortent de leur armure et marchent à votre rencontre tandis que vous les criblez de balles. Si la mise en scène est magnifique, avec une bande son réellement flippante composée de bruits hétéroclites et des rires nerveux de ces psychopathes aux courbes parfaites, le ressenti en terme de gameplay est loin d'être exceptionnel et on regrettera que les combats contre les boss soient nettement en-deçà de ceux qu'avait pu nous offrir Snake Eater par exemple avec les combats contre The End et The Sorrow qui méritent incontestablement leur place dans le palmarès des boss de jeux vidéos. Seul le boss final fournira une expérience un peu différente, proche d'un jeu de combat et où les clins d’œil aux précédents volets se multiplieront, que cela soit par l'apparence de l'affichage tête-haute ou par les musiques, pour clore la série en apothéose. Vous l'aurez compris, ce ne sont pas les boss qui vous feront rêver dans cet ultime épisode de Metal Gear Solid. Néanmoins, chacun de ces affrontements est l'occasion d'entendre le récit d'une vie brisée par ce monde de violence absurde et débridée, qui participe à la réflexion générale sur le sens et le rôle de la guerre. Metal Gear Solid n'est pas un essai philosophique mais apporte néanmoins matière à réfléchir tout en nous apportant une dose d'action et d'effets spéciaux qui n'a rien à envier aux Call of duty, et c'est ce mariage des genres que l'on apprécie chez maitre Kojima.
Vous deviendrez une arme, vous deviendrez un prêtre de la mort, implorant la guerre
Heureusement, les phases de boss ne constituent qu'une part infime du jeu. Le gros de Metal Gear Solid est un jeu d'infiltration dont le réalisme tranche nettement avec le "what the fuck" total qui envahit les cinématiques. Voilà encore un paradoxe de MGS, la coexistence du réalisme et du délire total. MGS 4 reprend la caméra 3D mobile au-dessus de l'épaule introduite dans MGS3 Subsistence et marque ainsi l'entrée de la série dans la maniabilité moderne. Et loin de moi l'idée de critiquer ce fait. Enfin on peut se déplacer accroupi, enfin on peut viser tout en ce déplaçant. Il est désormais possible de rouler sur le dos lorsqu'on est allongé, que ce soit pour se mettre sur le dos et tirer sur un ennemi derrière nous ou pour traverser une zone en roulant sur soi-même. Le CQC est de retour, pour des éliminations au corps à corps magnifiquement chorégraphiées. Les armes sont présentes en quantité, du couteau au lance-roquette en passant par les pistolets silencieux, fusils snipper anti-matériels, mines antipersonnelles et une ribambelle de mitraillettes et fusils d'assauts, vous aurez de quoi vous faire plaisir et adapter votre armement à votre méthode d'approche. Une simplification qui pourra faire grincer des dents les puristes, mais à ceux-là, on pourra répondre que le mode European Extreme, qui déclenche le Game Over dès qu'un ennemi donne l'alerte, est toujours de la partie, pour un challenge qui s'avérera pour le coup très relevé. Les armes sont à acheter chez le marchand d'arme, accessible via le menu pause n'importe où sur la map, qui vous permettra également d'acheter le droit d'utiliser les armes ramassées sur le terrain (verrouillées par des puces électroniques), d'acheter des munitions, de revendre les armes inutiles que vous ramassez sur le terrain et d'améliorer votre armement, en y greffant des silencieux, lunettes, lance-grenades, etc... A l'instar d'un FPS guerrier, vous pourrez dès lors customiser vos instruments selon l'approche que vous désirez privilégier. A noter que les améliorations coûtent relativement cher et que vous ne pourrez pas transformer votre M4 en véritable machine de guerre dès la première partie, ce qui rajoute une certaine rejouabilité et une difficulté supplémentaire. Surtout que vers la fin du jeu, les munitions vous feront grandement défaut, vous forçant à vivre sur vos économies.
Nous sommes tous des malades mentaux.
Feature de gameplay principale introduite dans MGS4, la jauge de stress. Si dans le troisième épisode, on avait du surveiller la jauge de faim et se nourrir des animaux de la forêt pour survivre, ici la dynamique est autre puisqu'il s'agit de surveiller l'état mental de Solid Snake. Plus la barre est vide, plus ses mains tremblent lorsqu'il tient son arme, moins il court vite et plus il fait de bruits. Autant d'éléments qui vous feront défaut lors de vos missions. Le mental est
primordial chez un soldat, nous disait The Boss dans MGS3. Cela n'a jamais été aussi vrai. Prenez des dégâts, vomissez, cachez-vous dans une poubelle ou recevez une réflexion vexante et votre jauge de stress descendra. Pour la remonter, il faudra consulter votre psy par radio, prendre des calmants ou feuilleter des magazines pornographiques" . Une feature intéressante mais qui reste malheureusement sous-exploitée. Si dans MGS3, la faim était une préoccupation primordiale, ici on peut jouer sans se préoccuper le moins du monde de cette jauge, s'administrant tout au plus des piqûres avec la seringue infinie obtenue à la mission 2 qui vous restaurera presque l'intégralité de votre jauge. Une gestion de cette feature beaucoup trop permissive pour être intéressante et qui nous fera regretter l'épisode précédent. Autre feature importante: le camouflage. Encore une fois, difficile de ne pas faire la comparaison avec le précédent épisode. Dans Snake Eater, il s'agissait d'aller sélectionner manuellement le camouflage qui correspondait le mieux à l'environnement dans lequel on évoluait pour devenir le plus invisible possible. Ici, le camouflage est automatique est s'adaptera instantanément à la surface sur laquelle on évolue. Une simplification dont on se serait volontiers passés puisque vous n'avez plus à vous préoccuper du camouflage qui sera toujours optimal. Et des fois même bien trop, puisque certains ennemis passeront à côté de vous sans vous voir. La feature du camouflage, trop casualisée, n'a plus rien d'intéressant, hormis les quelques tenues "easter eggs" qu'on pourra revêtir grâce à elle, notamment une tête "old school" de Snake (tiré de la version Playstation 1) tout en pixel de la taille de mon poing.
Sans variété, point de beauté
Si elles ne constituent pas la majeure partie du gameplay, quelques séquences de jeu un peu différentes de l'action-infiltration et du combat de boss se proposent à nous. Je pense par exemple à cette séquence de Gundam aux commandes du Metal Gear Rex, qui n'est pas la séquence la plus réussie du soft mais a le mérite de nous dépayser pendant deux minutes avec une action totalement débridée et une avalanche de missiles atomiques et de mitrailleuses. Outre cela, on peut noter deux séquences de rail-shooter, toujours parfaitement mises en scène avec des effets de caméra à pleurer lorsqu'on n'utilise pas son arme, une transition dynamique entre phases de cinématique et de gameplay et une action trépidante. On aura également le droit à une séquence de pistage dans la forêt, où il s'agira de suivre les empreintes, de repérer les herbes écrasées ou les animaux perturbés par le passage de la proie et une séquence de filature où il faudra suivre un indic dans une cité d'Europe de l'Est, vêtu d'un accoutrement qui ne semblera pas étranger aux fans de Bogart et des polars. Le mode multijoueur en revanche est à oublier, fruit d'une période où chaque jeu se sentait contraint d'incorporer telle feature, il n'est pas du tout optimisé en terme d'ergonomie ni de gameplay, ne nous propose qu'un arsenal limité et si les modes de jeux sont variés et intéressants, la faiblesse du level design, l'ergonomie très étrange du système, les temps de chargement à rallonge, les bugs et les concessions faites en terme de gameplay limitent son intérêt. A faire avec un pote, ne vous attendez pas à trouver énormément de parties en ligne ni une expérience très relevée. Metal Gear Solid est avant tout un jeu solo.
Que celui qui veut instaurer la liberté universelle diffuse les Lumières universelles
S'inscrivant dans la continuité de la série, le quatrième opus bénéficie de la mythologie déjà créée par ses prédécesseurs, qui dès le premier opus faisaient appel à des éléments de théorie du complot et de conspirationnisme, faisant référence d'une manière ou d'une autre à nombre d’événements marquants du XXème siècle pour les lier d'une manière ou d'une autre à un hypothétique groupe qui contrôlerait l'humanité dans l'ombre. Cet opus nous permet d'en apprendre plus sur ce groupe. Il fournit un dénouement bien trouvé à cette histoire, bien qu'on puisse lui reprocher quelques aspects un peu trop tirés par les cheveux ou tout du moins décevants. Si vous avez apprécié l'histoire de MGS2, vous aimerez celle de MGS4. Mais finalement cette histoire n'est là que pour habiller une critique bien plus réaliste de notre société. Du consumérisme à la banalisation de la violence, du transhumanisme à la mort des sentiments, MGS donne dans la réflexion philosophique, et le fait de manière ludique, tout en y mêlant un background culturel captivant. Se reposant comme nombre de jeux actuels sur les conflits au Moyen-Orient ou en Amérique du sud (avec les FARC) et y ajoutant une touche de fantaisie avec les Gundam et Cyber-ninja typiquement nippon et son humour décalé et parfois carrément potache (les blagues scatophiles, les gros plans sur les décolletés), il créait un univers cohérent qui mélange le cynisme et l'humour avec dextérité. MGS est un divertissement total, nous délivrant adrénaline, humour et réflexion. La mise en scène est digne d'un film même si on pourra râler sur les longueurs dans les scènes cinématiques, avec certains dialogues totalement dispensables. Il arrive parfois que l'on reste une demi-heure au même endroit à discuter avec différents interlocuteurs, mais si certaines conversations sont bancales, dans l'ensemble, elles apportent cohérence à cet univers qui est censé représenter notre futur proche et nous délivre maintes anecdotes toutes plus obscures et pessimistes les unes que les autres. Bien sûr, libre à vous de zapper toutes ces conversations. Il vous restera toujours un jeu au gameplay et à la réalisation aux petits oignons. Si on peut dénoter quelques faiblesses techniques, notamment sur les graphismes et animations, la mise en scène n'a rien à envier aux plus gros blockbusters américains et le challenge adapté aux noobs comme aux gamers les plus exigeants pourra satisfaire l'ensemble de la communauté. Il s'avèrera peut-être en deçà sur certains points par rapport aux précédents volets (combats de boss, suivi dans les environnements, aspects moins survival avec le marchand d'arme), mais il mérite sans aucun doute sa place dans votre ludothèque.
Commentaires (3)
15:05
Jolie boulot, continu comme ça ;)
18:39
23:33
-Une conclusion à la trilogie
-Une patte esthétique et artistique indéniable
-Du grand Kojima dans l'écriture
-Un gameplay arrivé à maturité
Les -
-Quelques longueurs et faiblesses dans la narration
-Manque de personnalité des boss
-En deçà des précédents volets
-Une certaine forme de casualisation